Interview de Maurice Freund, Point Afrique

Agence de voyage Point Afrique

Pour ceux qui connaissent Maurice Freund, c’est un personnage. J’ai eu l’occasion de le rencontrer et de parler avec lui lors du dernier Salon des randonnée de Paris et je vous présente l’interview qu’il a donné à freepresse.com.

Interview de Maurice Freund, Point Afrique

Le président de Point Afrique est pour la création d’un fonds de garantie pour assurer les risques de pertes d’activité pour les populations visitées. Vous trouverez le document original ici sur le site de freepresse.com.

Hier Point Mulhouse, aujourd’hui Point Afrique. Même combat ?

Si on considère notre activité du point de vue de la facilitation des échanges Nord-Sud, les objectifs n’ont pas changé. Mais le contexte est différent. Quand j’ai monté Point Mulhouse dans les années 1970, il s’agissait initialement de donner les moyens au plus grand nombre de voyager loin. Notre position frontalière nous permettait alors d’affréter des charters longs courriers vers des destinations pauvres. C’étaient les années hippies. Nous étions jeunes, dans une situation de rupture générationnelle forte, tourné vers les autres – je voulais être prêtre – et baigné avant l’heure dans un esprit tiers-mondiste. Le Point Mulhouse s’est développé, a transporté des milliers de personnes aux quatre coins du globe et a pu se payer un Boeing 707 pour ouvrir la première liaison charter vers les Antilles françaises puis l’Amérique du Sud. Entre 1973 et 1975, nous assurions 2 vols par semaine vers ces destinations.

C’est le moment qui a marqué les débuts de votre engagement humanitaire ?

Il était présent en filigrane avant à travers les chantiers de jeunes qui ont présidé aux débuts de l’association, mais en effet les années 1980 ont signé notre implication la plus engagée. Le hasard a fait que la femme alsacienne – comme moi – du Premier ministre de Haute-Volta (aujourd’hui le Burkina-Faso) a facilité l’ouverture d’une ligne vers ce pays enclavé. Nous avons pris le risque. En 1980, Air France et Air Afrique proposaient le vol pour Ouagadougou pour 7900 francs (1200 euros). Nous avons cassé les prix en offrant le billet 1300 francs (200 euros). Résultat : 1500 passagers transportés chaque semaine à l’occasion de trois vols hebdomadaires. Une grosse part de nos bénéfices a été réinvestie dans le développement local. Avec le biologiste, homme politique, écrivain et penseur Pierre Rabhi, nous avons par exemple ouvert le premier centre de valorisation des terres difficiles et formé à l’agrobiologie près de 1500 personnes par an, ce qui fait aujourd’hui de ce pays le plus avancé dans le domaine. Les seniors se souviennent de nos « opérations haricots » : au départ, nos vols passagers servaient aussi au fret des marchandises. Avec le temps, nous avons créé une compagnie cargo qui acheminait jusque 120 tonnes par semaine.

La politique a tout gâché ?

Elle a d’abord tout porté. J’ai rendu service aux socialistes en 1979 en acceptant de rapatrier 150 rescapés des Boat People récupérés par leur navire l’Ile de Lumière. Jacques Attali était à bord. Quand la gauche est arrivée au pouvoir, elle a renvoyé l’ascenseur en facilitant des autorisations en Afrique et à la Réunion. Entre 1983 et 1986, nous étions la première compagnie charter vers cette destination. L’association a connu ses meilleures heures avec 500 employés, 1,16 milliard de chiffre d’affaires et 85.000 passagers transportés, et une politique de tourisme solidaire qui avait les moyens de ses ambitions. Nous en avons payé le prix en 1987. Le changement de majorité a permis à Air France et à l’Aviation Civile de nous attaquer. Fin de l’aventure…

Et traversée du désert…

Avec quelques lumières d’espoir tout de même. En 1989, je prends la direction d’Air Mali et je me lie d’amitié avec Alpha Oumar Konaré qui sera élu Chef d’Etat trois ans après. Il connaît l’idée qui me tient à coeur : se servir du levier touristique pour désenclaver la région de Gao. J’ai une conviction : que l’aide détruit la dignité. Je lui préfère la création d’activités. En 1995, les accords de paix signés avec les rebelles nomades en donnent l’occasion. C’était comme ouvrir une ligne Limoge / Los Angeles.

Comme un clin d’oeil aux débuts, vous rebaptisez la nouvelle coopérative qui porte le projet Point Afrique.

Les points, c’est ce qui relie les lignes. Après le succès de la ligne vers le Mali, le Niger réclame ses vols, puis la Mauritanie. Nous y embarquons 200 passagers la première année, puis 1500, 3800, 5600, 7200 et presque 11.000 en 2002 avec 3 vols par semaine et des séjours à moins de 500 euros vol compris Paris / Atar, là où les lignes régulières proposaient des tarifs de 2500 euros en 1996. Point Afrique aujourd’hui, ce sont 70.000 personnes transportées par an à destination de 8 points en Afrique de l’Ouest, et des bénéfices annuels jusque 1 million d’euros dont la moitié alimente notre fonds de garantie (6 millions de fonds propres à ce jour), et l’autre est engagée dans des opérations solidaires.

Exemple ?

Au sud du Niger dans le parc du W, nous avons repris en gestion libre l’ancien hôtel de brousse délaissé par Sofitel. Nous y avons investi 700.000 euros en 2005, puis 150.000 euros chaque année depuis lors. C’est toute une économie qui revit. Nous espérons développer alentours des projets en agrobiologie et contribuer au développement économique du village voisin de Tapoa avec la création de nouvelles activités : guide, artisanat, visites… La région s’y prête : à 5 heures de l’Europe, ce sont 1 million d’hectares classés au patrimoine mondial de l’Unesco avec 250 espèces sauvages dont 4 des big five (éléphant, lion, guépard, buffle). Notre engagement humaniste tient dans les projets de la sorte : s’investir dans les pays les plus démunis et les plus difficiles économiquement.

On connaît la fragilité politique et touristique de ces engagements. Une difficulté survient et c’est la cloche de rappel. Cette étiquette « tourisme durable » ne relève-t-elle pas d’un marketing bobo de bonne conscience ?

Ça n’est pas faux. Je vais vous dire le fond de ma pensée : le tourisme ne m’intéresse pas comme une finalité, mais comme un moyen qui permet d’équilibrer les échanges entre le Nord et le Sud. Prenez la Mauritanie par exemple. Grâce au tourisme, près de 3000 personnes ont quitté les bidonvilles de Nouakchott pour retourner vivre dans leurs oasis. Mais depuis le drame terrible de l’hiver 2007 (4 touristes français assassinés), le tourisme a presque cessé et 70% des ruraux sont retournés en ville. C’est aujourd’hui un pays en souffrance. Au printemps 2008, nous avons malgré tout maintenu nos vols vers Atar : 372.000 euros d’affrètement en pure perte du point de vue touristique, car nos vols participent également au trafic ethnique et au transport des ONG. Idem cette année. C’est essentiel si on veut maintenir de l’espoir dans ces régions.

Mais Point Afrique ne peut pas être l’éternel samaritain ?

C’est la raison pour laquelle je suis pour la création d’un fonds de garantie du développement durable. Quand les choses tournent mal, pour des raisons de sécurité ou de mode, il faut pouvoir maintenir partiellement les revenus du tourisme ou trouver des alternatives en finançant collectivement d’autres logiques d’existence comme l’agriculture ou l’élevage. Ce fonds devrait être alimenté par tous les opérateurs et les compagnies qui vivent du tourisme durable dans ces régions. Dans cette partie du monde, la seule chose qui doive être considérée comme « durable » et impliquer les bonnes conscience, c’est la survie des populations.