Le Parc national naturel de Tayrona

Et les indiens Kogi

Juan est assis sur son tabouret. Il m’explique le Poporo.

“Le Poporo, nous y écrivons nos pensées. On y met de la chaux avec de la salive, beaucoup. On en extrait ensuite la substance pour mâcher la coca. Le Poporo c’est surtout de la salive.”

Je suppose que la salive mélangée à la chaud active la coca et augmente son effet sur l’organisme, mais je ne demande pas à gouter. L’idée de manger sa bave m’inspire peu, on appelle ça la différence culturelle. D’ailleurs il ne me propose pas.

Le Parc national naturel de Tayrona


Juan, Kogi du Parc National de Tayrona me montre son Poporo

La Sierra Nevada de Santa Marta restera un mystère pour moi. Avant de partir pour la Colombie, je m‘étais rapidement renseigné, puis rafraichi la mémoire d’un click sur wikipedia. Les faits basiques, l’histoire du pays, le plus haut sommet culminant à 5775m, le pic Cristóbal Colón évidemment pour le pays qui porte le nom du découvreur du nouveau Monde. Évidemment aussi, je situais le sommet dans la cordillère des Andes, région bien éloignée de la Colombie Caraïbe que je m’apprêtais à visite.


Dans les nuages de la Sierra Nevada de Santa Marta, le pic Cristóbal Colón. Plus de photos.

En amateur de géographie, je découvre que ce pic se trouve à la tête d’une petite chaine de montagne, tout près de la côte nord du pays, les pieds dans la mer des Caraïbes. A seulement 45km de la mer, le pic Cristóbal Colón est ainsi le plus haut sommet côtier au Monde, de quoi aiguiser ma curiosité pour l’endroit, et mon esprit projetant des images hors normes: un sommet invisible noyé dans la brume côtière qui remonte sur ces flancs, invisibles des conquistadores qui ne peuvent imaginer un tel géant si proche. Les égarés qui approchent des lieux se heurtent à des pentes presque verticales recouvertes d’une végétation tropicale inextricable, autant d‘éléments rédhibitoires à toute exploration.


Pueblito Tayrona, larges escaliers et plateformes de constructions. Plus de photos.

En toute logique, j’ai pensé au Machu Picchu lorsque j’appris l’existence de cette cité perdue des indiens Tayrona, un peuple disparu qui a emporté avec lui le secret de l’existence d’une ville cachée dans la montagne, sa capitale.

Aujourd’hui, l’endroit est un parc national, au cœur de la Sierra Nevada de Santa Marta, un véritable sanctuaire de la faune colombienne que la difficulté du terrain a su protéger. J’ai rencontré Juan et sa famille un peu plus bas dans le parc Tayrona, où il s’est installé avec les siens. Là, quelques touristes passent sur un sentier qui mène vers un des vestiges archéologiques de ces ancêtres, le Pueblito Tayrona.


Le sentier et la forêt pour se rendre à Pueblito Tayrona. Plus de photos.

Plus accessible que la Ciudad Perdida qui requiert trois ou quatre jours de marche en pleine montagne tropicale, cet ancien village qui faisait partie d’un complexe plus large nous plonge dans l’histoire d’une civilisation qui a laissé quelques héritages. Même si les Kogis que nous rencontrons s’adaptent aux contraintes de la société colombienne, il est certain qu’ils souhaitent conserver leurs traditions, leur mode de vie. Le Poporo en est l’exemple type puisque des pièces archéologiques indiquent qu’il était déjà intégré à la culture locale il y a 1500 ans. Sans parler de certains souhaits quant à une restriction plus importante de l’accès au parc et à la montagne.


Luis Gregorio Villario, producteur de Cacao dans la Sierra Nevada de Santa Marta, rencontré sur le sentier qui mène à Pueblito. Plus de photos.

Le chemin qui mène au Pueblito quitte la route 90 au niveau de “Colinas de Calabazo”. C’est l’entrée du Parc où chacun doit s’acquitter du droit de passage auprès d’un perroquet à moitié apprivoisé. Le tarif n’est pas indiqué sur le panneau, mais il est différent pour les étrangers, ce qui pour moi n’est pas choquant. Compter quelques euros.
On constate aussi que l’entrée réelle du parc se trouve à 3.5km du point où nous sommes et que la première partie que nous allons traverser est en réalité une zone tampon où les agriculteurs ont encore la possibilité d’exploiter le terrain, comme dans beaucoup de parc nationaux ailleurs sur Terre. Notons aussi que la distance et le temps de marche indiqués pour Pueblito (5.2km en 2h30) laissent présager d’un peu de dénivelé (disons 300m avant de redescendre vers Pueblito).


Une femme Kogi et son enfant, non loin du Pueblito Tayrona. Plus de photos.

Nous sommes accompagnés par Mathieu Perrot. Il vit depuis plusieurs années en Colombie, et est sans doute le meilleur guide qu’on puisse avoir. Volubile, enthousiaste et totalement amoureux du pays, il est aussi historien, anthropologue et spécialiste de l’Amérique Latine. En entrant, il nous conte l’histoire du parc, la difficulté que rencontrent ses protecteurs devant la réalité et les contraintes économiques des agriculteurs comme Luis Gregorio qui doivent aussi vivre en défrichant les pentes et cultivant le terrain.

Nous remontons aussi progressivement le temps lorsque Mathieu nous retrace l’histoire de la région et du peuple Tayrona que découvraient les conquérants espagnols au début du 16ème siècle.

“Ils ont eu la mauvaise idée de vivre là où en 1525 les Espagnols décidèrent d’installer la première ville du continent sud-américain, Santa Marta. Du coup bam, ils se sont fait complétement décimer.”

Un peuple, des centaines de milliers d’individus et une culture vivaient ici. Nous marchons sur un sentier envahi par les racines d’arbres centenaires là où des voies romaines reliaient les villes, nous croisons des monolithes de granit couverts de mousse gravée des figures intemporelles des rois de l‘époque, ou les oreilles dressées d’un lapin. Même s’il reste quelques vestiges, les cités perdues le sont bel et bien.

J‘éprouve toujours des difficultés à me projeter dans l’histoire. Comment imaginer un peuple, sa culture, comment se projeter dans leur quotidien lorsque les seules choses qui nous restent sont quelques ruines en pierres, des gravures dans la mousse et un poporo concentrant le souvenir. Ces vestiges ne sont qu’un très faible aperçu de ce qui existait, comme si on pouvait imaginer le 20ème siècle sur les ruines de Manhattan.


Les mystérieuses pierres gravées de Pueblito Tayrona, Dieu Lapin ou récent tag. Plus de photos.

En arrivant au Pueblito, nous sommes de retour à la modernité, un groupe de lycéens de Santa Marta est présent dans le village. Ils sont arrivés par la plage de Cabo San Juan, “l’autre chemin” qui permet d’accéder au site. Un lieu plus touristique capitalisant sur ses vagues et son sable chaud.


Les rochers de Cabo San Juan, la face visible du Parc national naturel de Tayrona. Plus de photos.

Pour en savoir plus sur les Tayronas et la Sierra Nevada de Santa Marta:

Sur lemonde.fr, une vidéo sur le Pueblito Tayrona;

Tisserand du Soleil, sur les indiens Kogis;

Les Kogis, descendant des Tayronas;

L’association Tchendukua fondée par Eric Julien et qui vise à aider les indiens Kogis à préserver leur mode d’existence;

Une présentation de Mathieu Perrot-Bohringer qui nous a servi de guide lors de cette semaine de découverte entre Carthagène, Mompox et Santa Marta;

Si vous souhaitez découvrir la région, Allibert Trekking proposent quelques circuits, comme celui-ci, qui vous permettront de découvrir la région et en particulier la Sierra Nevada de Santa Marta.

Lisez aussi les 2 articles sur Carthagène des Indes et Mompox et consultez le portfolio de ce voyage en Colombie.