La route du sel en Mongolie

500km en chameau

Ça commence par un échec évité de justesse: 15 jours avant la départ du voyage nous apprenons que la zone de départ est atteinte par une épizootie. Tous les animaux sont en quarantaine. Nos chameaux sont consignés dans la zone fermée.
Pas de chameau, pas de méharée.

Alors quoi, annuler? Tout est calé depuis des mois, les voyageurs sont prêts au départ pour le grand voyage… deux années de préparation. Pas question! Remplacer les chameaux par des véhicules à moteur? Impensable! Sur place, les amis battent la campagne pour dénicher la perle rare: une vingtaine de chameaux et surtout une équipe fiable et prête pour le grand saut!

La route du sel en Mongolie

Le programme n’est pas banal pour nous, mais il l’est encore moins pour des mongols: inexpérimentés dans le tourisme, prévenus au dernier moment et à une période cruciale de leurs rythmes de nomadisation, nous leur demandons de partir sur un itinéraire qui n’a plus été parcouru depuis 1922 – rien que ça. Mais, petit miracle dans la steppe, Odkhuu, un éleveur audacieux est emballé par le projet. Il se fait fort de réunir une équipe et de prendre le large en quelques jours.

Nous quittons donc l’Europe excités par l’aventure, et circonspects quand à la logistique. Quelques avions plus loin, nous arrivons à Olgi, la capitale de l’Altaï. L’Altaï est le plus puissant et le plus haut massif de Mongolie, il forme surtout la frontière avec la Chine, la Russie et même le Kazakhstan. Mais nos regards sont tournés vers l’est, vers l’intérieur de cette Mongolie. Direction est-nord-est, à bord de petits fourgons russes aussi robustes qu’efficaces, les légendaires Purgon. La rivière serpente entre les montagnes arides, et la piste n’est séparée de l’eau que par une jolie rangée de saules et de peupliers.


Une courte tempête de neige au mois de septembre : rien de bien inquiétant. Mais pour les chameliers, c’est le rappel qu’ils vont revenir tard de ce long voyage, et que l’hiver mongol sera déjà peut-être là.

A vrai dire je suis un peu étonné d’être là, comme prévu, avec mes compagnons de voyage. Je connais tous les participants, mais nous fréquentons habituellement d’autres latitudes. Comment vont-ils vivre ce voyage ? Où seront les décalages entre ce qu’ils attendent, ce qu’ils s’imaginent, et ce que nous allons vivre? Et le chameau a deux bosses dans tout ça? Arrivée idyllique, au bord d’un lac ; une yourte qui fume, de l’herbe verte et des chameaux au pâturage… Nos chameaux ! Départ demain matin.

Devant nous: 500 km de steppes plus ou moins désertes, des lacs salés, des dunes, des rivières… et des questions. Par où ça passe? Dans quel état seront les rivières? Ces chameaux sont-ils à l’aise dans les dunes? Et 500 km devant, Uliatsaï, notre objectif, le port que nous devons rejoindre de l’autre côté de cette steppe.

Premier matin, et inévitablement une mise en route lente et complexe pour notre équipe mongole. A pieds, des fourmis plein les jambes, les voyageurs eux sont déjà loin dans la steppe, chacun traçant sa route vers un azimut improbable. Suffoqués par ces piétons intrépides, les chameliers font leur maximum pour nous rejoindre.


La monte du chameau de Bactriane se fait entre les bosses, confortablement, les pieds passés dans des étriers. Confort donc, et sécurité…

Nous voici en route. Dans un large corridor, une haute steppe bordée de montagnes: des massifs de montagne qui nous entourent au nord et au sud, certes à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde, mais imposants car culminants à plus de 3000 m pour certains. Nous parcourons donc un couloir entre les montagnes, une voie naturelle de circulation. Ce corridor est parcouru par les rivières venant de l’est et qui vont mourir dans les lacs immenses, salés et d’un bleu azur. Là-même où se fournissaient les caravanes qui suivaient cet itinéraire évident, entre les confins du Kazakhstan et la lointaine Manchourie.

Dès les premiers jours les arrêts improvisés dans les yourtes, sont spontanés et chaleureux. Plus loin, abordant des zones plus arides, les yourtes se font plus espacées jusqu’à disparaître du paysage. Les nomades ont déjà rejoint leurs camps d’automne ou sont en transit vers les camps d’hiver. Le nomadisme est ici codifié par le climat, et la nécessaire dispersion, car presque partout en Mongolie les sols sont pauvres.

Le rythme est pris, la caravane avance bien, la confiance s’est installée entre ces étranges touristes et la vaillante équipe chamelière.


Montagnes enneigées, dunes et vastes plaines : le cocktail idéal dont nous rêvions pour cette méharée inédite en Asie centrale.

Au huitième jour, surprise, les chameliers demandent un jour de repos pour leurs animaux. Des chameaux fonctionnaires ? C’est une blague ? Discussion, argumentation, négociation, rien n’y fait. L’endroit est très beau, au bord d’un lac d’eau douce ourlé de plantes rouge vif. Nous en prenons notre parti ; chacun pourra faire sa petite toilette, sa petite lessive. Vaquer, balader, et toutes ces petites choses interdites lors d’une nomadisation quotidienne. Nous achetons une chèvre. Le soir même l’essentiel de la bête partira en brochette au cours d’une veillée enchantée autour du feu. Nos amis spontanément se mettent à chanter. Les bouteilles de vodka tournent. Belle ambiance chaleureuse dans ce bout du monde, ce bout d’humanité. Une vraie journée de vacances en somme.

Le fait est que ces chameaux n’ont jamais travaillé. Retirés du pâturage, ils se sont retrouvés du jour au lendemain sur les pistes, ne pouvant brouter qu’un peu le matin et le soir, car les chameliers ne les laissent pas divaguer la nuit. Ils sont entravés et baraqués à proximité des tentes. Nos chameliers sont également inquiets du trajet retour, qui sera aussi long que l’aller, et qui va les ramener au bercail très tard dans la saison. Ils vont revenir avec des animaux fatigués, peu engraissés, qui pourraient avoir des difficultés à passer l’hiver. Ces contraintes vitales expliquées, le principe du jour de repos sera d’ailleurs reconduit une semaine plus tard.

Plus loin dans la steppe, un passage épique de rivière nous attends. Les pluies ont été abondantes cette années, les rivières sont grosses. Nous adaptons notre itinéraire mais cette fois, il faut bien traverser. Les chevaux ont l’eau à la selle, et les chameaux aux cuisses. Interdiction de tomber à l’eau, chacun est concentré et la traversée se passe en douceur. Et enfin nous abordons un secteur très attendu : les dunes !


Les chameliers sont toujours à cheval pour guider leurs chameaux. Sur cet ancien itinéraire commercial, notre caravane fait le lien entre cette époque révolue et un renouveau pour ces métiers disparus.

Cet erg est bordé au sud par une rivière, et au nord par des lacs. Les dunes fixées par une végétation rase portent bien sous la sole des chameaux, nous progressons lentement dans cette ambiance magique. Mais le sable vif remplace ensuite les dunes fixées prenant de jolies teintes orangées. Ni les chameaux ni les Mongols ne sont accoutumés à progresser sur ce genre de terrain, et nous devons trouver un itinéraire plus adapté, le long de la bordure sud de l’erg. Le rythme de progression s’accélère alors nettement, toujours cap à l’est.

Cette route est bien calme! Et pour cause. Devenue satelite de l’URSS, la Mongolie a brutalement importée les valeurs d’une dictature sédentaire chez les nomades. Les frontières se sont fermés, les déplacements interdits, les éleveurs cantonnés strictement. Là comme ailleurs, des routes ancestrales se sont éteintes. Cette route caravanière concernait surtout le commerce du sel. Le sel a toujours été une bonne monnaie d’échange, il est indispensable aux hommes comme aux animaux domestiques, facile à transporter et généralement gratuit. C’est donc aussi un vecteur d’échange, celui qui rend viable un commerce au long cours, celui qui amorce une chaine d’échanges de biens. Cette route que nous parcourons aujourd’hui, les parents et les grands-parents de nos chameliers la pratiquaient, en tirait un revenu fiable et une fierté. Une fierté et un revenu retrouvés, malgré les craintes et la (re) découverte des itinéraires.

Un dernier lac dans une ambiance minérale et nous atteignons notre but. Ces 19 jours jours de méharée nous ont fait tracer une belle trajectoire hors des sentiers battus. Ce fut un beau défi d’abord, et une belle réalisation sur le terrain. Nul doute que les chameliers en parleront entre eux, et que le bruit courra dans la steppe que des Européens prennent un plaisir étrange à traverser leurs paysages, à pied et à chameaux…

Nous repartons en août 2014 ! Qu’on se le dise… Pour en savoir plus sur ce superbe voyage, consultez cette fiche sur randopays.com.