La montée finale du Kilimandjaro

Au sommet de l'Afrique

Le pas est très lent. Je suis à l’arrière du groupe, depuis le début. Quelques mètres au-dessus de moi, Abed notre guide donne le rythme. Nous ne marchons pas, nous posons un pied devant l’autre, sans réfléchir, en moutons mécaniques. Pris dans un courant ascendant nous perdons la notion de temps, bercés par les lacets du sentier, hypnotisés par nos lampes et le mouvement lancinant des pieds devant, rouages d’un engrenage fragile qui voudrait se gripper. Un replat abrité nous accorde une pause. Deux minutes essoufflées. Le vent s’est levé, la température baisse et le plus dur reste à venir. Pendant six heures.

La montée finale du Kilimandjaro

Nuit courte

Le réveil sonne, il est 23:12. Je suis déjà presque habillé lorsque je sors du sac de couchage. Mon sac à dos est prêt, il ne contient pas grand chose. Une bouteille d’eau, deux ou trois vivres de course, un coupe vent léger et une doudoune en supplément pour moi. Deux batteries et deux cartes mémoires en sécurité pour mon reflex. J’accroche mon trépied sur l’arrière du sac, je sors de la tente et je rejoins mes compagnons d’ascension dans la tente principale où Patrick le commis du chef nous a préparé un café et quelques tranches de pain miellées.
“T’as pu dormir toi?” – “Moyen, somnolé peut-être”

Le camp de base pour le sommet du Kilimandjaro est à 4645m, et malgré les quelques jours d’acclimatation de la marche d’approche, on ne dort pas facilement à ces altitudes. Surtout la veille d’une montée qu’on attend depuis longtemps, entre inquiétude et excitation enrichies de ouï-dire.
“Chacun de vous y arrivera, mais cela ne sera pas simple. Vous serez fatigués, vous aurez mal aux jambes, à la tête, au ventre, vous voudrez arrêter, mais vous irez au sommet.”




Dans la tente, au pied du Kilimandjaro, on se raconte des histoires. Plus de photos du Kili.

Les jambes sont encore dures de la marche de la veille. Nous passons un surplomb sous lequel nous laissons nos tentes, et tout de suite le train se forme. Au loin, quelques points blancs en mouvement, les frontales d’un groupe déjà engagé dans la pente au dessus nous montre à l‘évidence qu’il n’y aura pas de répit. Il est environ minuit et nous quittons Barafu Camp dans le but d’atteindre Stella Point, petit col avant la crête sommitale. Avec nous et Abed, trois des meilleurs porteurs qui joueront le rôle de soutien, voire d’accompagnant si une des personnes du groupe devait abandonner et redescendre.

Le plus beau des levers

Pendant la montée on est seul et il n’y a rien à faire. Respirer vite et battre fort, bien sûr, mais aussi penser et profiter au mieux d’un voyage qu’on a voulu.

Avec l’altitude les nuages descendent et les étoiles apparaissent dans un ciel totalement pur. Une ou deux fois, je dis à Essao l’assistant qui ferme la marche que je vais m’arrêter quelques minutes en retrait. Je suis alors seul au Monde, surplombant une Afrique endormie, à mille lieux d’une terre ailleurs bruyante. Sensation unique, je suis ému à deux doigts de “l‘éveil” et pleinement conscient du privilège.

Déjà, quelques premiers indices annoncent un jour nouveau. Derrière nous plein est, le noir profond devient bleu marine, les étoiles s‘éteignent progressivement. Alors que le groupe est encore plongé dans la montée, monomaniaque du pas, je pense déjà aux images que j’espère faire, moteur personnel comme il en est. Le déclencheur apparait vers 5700m lorsque l’aube se révèle sur une pellicule de neige fraichement déposée.




L’aube, 5h du matin. Un des plus beaux levers de soleil que nous ayons tous vus.

Alors tout s’accélère, l’horizon s’éclaircit, un dégradé bleu-rouge annonce le jour, puis la neige se transforme. D’un gris foncé nocturne ponctué de taches claires frontales, la neige devient rose puis chaude, baignée d’une lumière rarement vue. En amateur photosensible, et devinant la crête qui n’est plus loin, je joue mon rôle, dépasse le groupe et fais une photo. Puis quelques autres. Et c’est tout. Ce jour là, je décide que mes yeux en profiteront en premier.

Depuis Stella Point, on voit le sommet à 45 minutes de marche. Le timing est parfait et le soleil levant nous pousse le long de cet étrange glacier monolithique, seul et unique individu d’une espèce improbable en Afrique, survivant fossile en voie de sublimation. J’aurais voulu le toucher, prendre mon temps, profiter de l’endroit. Je n’ai pas osé.




Le célèbre et fragile glacier sommital, les neiges du Kilimandjaro, et les ombres allongées des marcheurs. Plus de photos du Kili.

Comme si je pressentais la fin proche, je n’avais pas non plus envie d’aller jusqu‘à la pancarte où la pose naturelle, certificat de réussite, a moins d’importance que les souvenirs. Malgré tout, dans un élan concentré vers le sommet, ceux qui ont encore du souffle encouragent ceux qui sont à bout, et presque plus tôt que prévu nous atteignons tous le pic Uhuru, l’objectif final.

Déjà il faut redescendre. J’aurais voulu y rester plus longtemps.

Cette ascension du Kilimandjaro a été réalisée avec Terres d’Aventure à la fin du mois de mai 2013. Vous pouvez aussi lire l’article sur la voie Machame qui présente l’ascension complète au jour le jour, feuilleter le portfolio du Kilimandjaro, ou suivre nos conseils pour une bonne préparation de l’ascension.